Ancienne étudiante IRIS Sup’ au sein du diplôme « Responsable de programmes internationaux », Sarah Zouak a coréalisé, avec Justine Devillaine, une série documentaire : « Women SenseTour in Muslim Countries » à la rencontre des femmes musulmanes qui font bouger les lignes. Elle répond aux questions de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, à l’occasion de la projection du premier épisode tourné au Maroc. L’IRIS a eu le plaisir de découvrir ce premier documentaire lors d’une projection organisée à l’Institut le 17 mai 2016.
Vous pouvez également en découvrir plus sur ce formidable projet sur le site internet du Women SenseTour.
Quel était votre objectif en réalisant cette série de documentaires ?
Le Women SenseTour – in Muslim Countries est une série documentaire à la rencontre de femmes que l’on n’a pas l’habitude de voir : des femmes musulmanes actrices du changement.
À la suite de mes études, j’ai entrepris un long voyage pour mettre en lumière des femmes musulmanes plurielles, bien loin des clichés habituels. Pendant 5 mois, j’ai sillonné 5 pays musulmans, très différents les uns des autres et pourtant fantasmés comme un bloc homogène, surtout quand on aborde les droits des femmes. J’ai parcouru le Maroc, la Tunisie, la Turquie, l’Iran et l’Indonésie pour aller à la rencontre de 25 femmes qui allient sereinement leur foi et leur engagement pour l’égalité et l’émancipation des femmes. Parce que oui c’est possible !
L’objectif premier est ainsi de déconstruire les préjugés sur les femmes musulmanes, constamment représentées comme des femmes soumises, oppressées et victimes mais aussi de susciter l’inspiration pour que chaque femme devienne actrice de sa propre vie. L’idée était de faire de ces femmes des sources d’inspiration pour toutes et tous.
Cette série documentaire débute par une quête personnelle, un besoin viscéral de me battre contre ce récit unique que l’on ne cesse d’entendre sur les femmes musulmanes. Diplômée d’un Master en école de commerce et d’un Master en Relations Internationales, je n’avais jamais touché une caméra avant d’entamer mon voyage. Pourtant, réaliser des documentaires et rencontrer tous ces modèles de femmes était devenu pour moi une véritable nécessité ! Un moyen puissant de me réapproprier ma narration en tant que femme musulmane, d’être enfin actrice de mon récit. Cette série documentaire est un outil pour montrer la pluralité des femmes musulmanes et mettre fin à ce silence paradoxal, où l’on ne cesse de parler des femmes musulmanes sans jamais leur donner la parole.
Vous vous considérez à la fois féministe et musulmane. Pourtant, cela reste incompatible pour beaucoup…
Pendant longtemps, j’ai moi-même eu le sentiment que mes différentes identités – française, marocaine, arabe, musulmane et féministe – étaient incompatibles, voire contradictoires. On s’est ainsi souvent étonné de me voir épanouie et bien « intégrée », comme si la religion aurait dû être un obstacle à mon émancipation. J’ai été pendant très longtemps tiraillée et complètement « schizophrène » à la recherche de modèles de femmes qui me ressemblaient !
Pour beaucoup, être féministe et musulmane semble antinomique, et l’association de ces deux mots est encore controversée. Aussi bien par les féministes classiques – qui pensent que l’émancipation des femmes passe forcément par une mise à distance du religieux – que par certaines musulmanes qui voient le féminisme comme un concept importé de l’Occident et donc étranger à la culture musulmane.
Une troisième voie s’est pourtant ouverte pour les femmes musulmanes, comme l’indique Asma Lamrabet, l’une des femmes interviewées dans la série documentaire (Episode 1 Maroc) et directrice du CERFI (Centre d’Etudes et de Recherches Féminines en Islam) qui propose d’allier les droits universels – que chacun a le droit de revendiquer – avec un référentiel musulman, revu, relu et re-contextualisé. Il y a aujourd’hui un véritable mouvement de femmes musulmanes à travers le monde qui se réapproprient les textes sacrés et démontrent, par un argumentaire construit, que ce n’est pas l’Islam en tant que religion qui opprime les femmes, mais bel et bien la lecture qui en est faite. En tant que femme musulmane, je suis convaincue que les valeurs d’égalité et de justice sociale sont présentes dans les textes sacrés. Il faut maintenant en faire une véritable relecture, remettre en question les lectures patriarcales et produire un savoir nouveau sur l’Histoire des femmes musulmanes.
Rencontrer tous ces modèles de femmes musulmanes féministes que l’on ne m’a jamais montrés m’a permis de réaliser que je pouvais être moi-même et vivre pleinement et sereinement mes différentes identités sans laisser les autres définir qui je suis. Ces documentaires que je réalise, c’est un peu les films que j’aurais aimé voir à 12 ans : cela m’aurait permis d’éviter des années de questionnements et de doutes.
Ainsi, mon féminisme est né dans la continuité des nouvelles formes de féminismes (féminismes intersectionnels, afroféminismes …) et prend en compte les différentes oppressions dont sont victimes les femmes. En tant que femmes musulmanes, nous sommes victimes d’une double oppression qui n’est pas prise en compte dans le féminisme classique. Nous ne sommes pas seulement victimes de sexisme mais également de racisme du fait de nos origines ou de notre appartenance religieuse ! Un chiffre ? En France en 2015, plus de 80% des victimes d’agressions islamophobes sont des femmes (CCIF[1]). Je m’interroge alors beaucoup sur ces féminismes qui se veulent universels mais qui ne prennent pas en compte nos réalités et nos singularités en tant que femmes.
Mon rêve en tant que féministe est donc très simple : que les femmes ne soient plus jugées, discriminées ou violentées du fait de leur genre, origine, appartenance religieuse, orientation sexuelle ou encore de leur physique. Je rêve de vivre dans une société qui n’a pas peur de l’altérité et qui permettent à chaque femme de s’épanouir, non pas malgré ses identités, mais grâce à elles.
Comment expliquer la force des préjugés, y compris venant d’un public censé être éduqué et informé ?
Étudiante, j’ai été très étonnée d’observer que les préjugés que je mettais sur le compte de l’ignorance étaient en fait bien plus profonds que cela. On retrouve ainsi ces discours stigmatisants auprès de nombreux intellectuel(les) féministes et politiques. Nos « élites » traditionnelles restent dans un « entre soi », voire « communautarisme », puisque celui-ci manque cruellement de diversité, et leurs discours ne donnent que rarement la parole aux principales concernées. Ces élites se posent en défenseurs des valeurs de la République, mais se permettent souvent de les détourner de leur sens premier, tendant ainsi à légitimer les discriminations faites aux femmes musulmanes qui ne respecteraient pas les principes de notre société. On leur renvoie ainsi leur illégitimité à être au sein de la société française. Mais à partir de quoi ne pourrait-on pas être ce que l’on est ? La laïcité, par exemple, n’est aucunement la neutralité de tous les citoyens comme on ne cesse de l’entendre, mais, au contraire, la garantie de chacun(e) de croire ou de ne pas croire et de l’exprimer dans les limites de l’ordre public.
D’une part, ces discours sont renforcés par les médias et les politiques, qui ne cessent de renvoyer une image stéréotypée des musulmans et particulièrement des musulmanes. Je dirais même de « la » femme musulmane, car c’est toujours au singulier que l’on en parle, renforçant ainsi l’idée que les femmes musulmanes forment un bloc homogène. Nous retrouvons ainsi régulièrement le même refrain repris en boucle avec notamment une fixation sur les burqas et les voiles qui seraient le symbole même de la mise sous tutelle des femmes musulmanes. L’Islam est perçu comme la religion par excellence qui empêcherait les femmes de jouir d’un statut égal à celui des hommes. Enfin, on retrouve des discours qui se veulent libérateurs des musulmanes. Celles-ci ayant, en effet, naturellement besoin de l’aide des pays occidentaux pour s’émanciper, à croire que la femme occidentale est, quant à elle, libre et libérée de tout patriarcat et domination masculine.
D’autre part, ce discours se retrouve également chez certaines femmes, et plus précisément certaines féministes « occidentales ». On se rappellera récemment des propos désobligeants sur les femmes voilées, tenus par Laurence Rossignol, la Ministre des Droits des Femmes en France. Or, ce type de discours soulève un véritable paradoxe : en parlant au nom des musulmanes, ces femmes se positionnent dans une position de supériorité et par conséquent reproduisent un schéma de domination. La domination d’un féminisme « classique » s’ajoute ainsi à la domination patriarcale car elles privent les femmes musulmanes de leur capacité de jugement sur leur propre situation.
Il est à mon sens important aujourd’hui de comprendre :
– La pluralité des femmes musulmanes : elles sont urbaines, rurales, aisées, modestes, voilées, non voilées, actives, inactives, jeunes ou moins jeunes, habitent aussi bien en Occident que dans des pays majoritairement musulmans. Elles ne sont en aucun cas uniques et singulières comme cela semble l’être dans l’imaginaire collectif.
– L’universalité des discriminations envers les femmes – malheureusement. En effet les discriminations dont sont victimes les femmes se retrouvent au sein de toutes les sociétés – en Occident comme en Orient – et dans tous les contextes socio-économiques, politiques ou géographiques. Ces discriminations sont diverses et il semblerait donc indécent de les hiérarchiser selon les contextes – religieux et culturels notamment – car le problème est beaucoup plus global.
Alors à ces personnes qui ne cessent de se cacher derrière le vivre-ensemble, l’égalité et la justice, je pose une simple question : quel modèle de société souhaitez-vous ? Une société française qui accepte seulement les personnes capables de s’intégrer et de s’assimiler quel qu’en soit le coût, ou une société qui accepte toutes les personnes avec leurs différences et multiples identités ?
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